Un Mot sur l’Œuvre de Goeneutte

Un Mot sur l’Œuvre de Goeneutte

Pauvre Goeneutte ! En voyant, prête à se disperser, cette collection de peintures et de dessins qu’il gardait par devers lui, un peu pour son plaisir, et un peu pour leur donner le temps de « se faire », je revis des heures de bonne amitié et de cordiale causerie. Je repense à sa vie si lumineuse, si entrainante et si gaie, et à sa mort qui fut si triste … Mais il ne s’agit point ici d’épanchements, ni d’affectueux souvenirs, Les amateurs qui se disputent, à l’hôtel des Ventes, les œuvres d’un artiste, et les commissaires-priseurs qui les adjugent, ne se paient point de sentiment. Il faut donc laisser, ou réserver pour d’ autres occasions, le mélancolique plaisir de parler du camarade, pour ne rappeler, en deux mots, que l’intérêt intrinsèque de l’œuvre. La grande ambition du bon Goeneutte était d’être rangé plus tard au nombre des « petits maitres ». C’est-à-dire qu’il poursuivait, de prime-saut en apparence, mais en réalité avec beaucoup d’esprit de suite et beaucoup de conscience, la finesse dans l’ observation, le naturel et la variété dans l’ arrangement, la vivacité et la précision dans le dessin, et la richesse durable dans la matière. En réalité, on voit que les « petits maîtres », dédaignés de leur vivant par ceux qui « grand art », ont de beaucoup un des meilleurs lots, car leurs tableaux deviennent précieux au bout de peu d’années. Aussi Goeneutte, sans fausse modestie, pensait que plus d’une de ses petites peintures si attrayantes de la vie contemporaine prendrait encore de la qualité et de l’intérêt avec le temps, et c’est pourquoi il avait plaisir à garder à son atelier quelques-unes de celles qu’on voit ici. A la fois très voyageur et très Parisien, il aimait dans la nature et dans les villes tout motif original, toute silhouette animée et saisissante. Mais il avait des idées générales qu’il savait rendre en peintre, sans aucune affectation littéraire. S’en allait-il à Venise au en Hollande , se reposait-il à Auvers-sur-Oise, il demeurait là, comme en plein boulevard ou en plein quartier populeux, l’homme qui voit juste, vif et fin, le peintre qui exécute avec netteté et délicatesse. Il est certain que tels des petits tableaux de Rotterdam qu’il fit l’année qui précéda sa mort, seront classés plus tard parmi les moins banaux des paysages de notre époque, et que diverses scènes de rues ou d’intérieurs (par exemple, les Bonnes chez Duval), rassemblées ici pour la dernière fois, ne le cèdent en rien aux tableaux parisiens qui commencèrent sa célébrité. Puis, il y a des dessins. Goeneutte était fier de ses dessins et il ne les vendait pas volontiers. II avait raison : c’est là que le savoir et les dons naturels s’affirment, j’allais dire se trahissent, avec le plus de spontanéité et de grâce, pour celui qui aime bien l’art. Je répétais souvent à Goeneutte, non pour lui faire un banal compliment, mais parce que c’était exact : « Vous laisserez quelques-uns des dessins de femmes les plus aigus et les plus vrais de notre époque. » Aujourd’hui je le redis au public avec la même sincérité. Peintures et dessins seront un jour classés dans les collections les plus difficiles. Pour ma part, je ne comprends pas comment cela a besoin d’être dit, comment les gens ne s’en aperçoivent pas tout seuls, et pourquoi ils hésiteraient à se donner tout de suite le plaisir que d’autres éprouveront d’ici une au deux pauvres petites centaines d’ années.

Arsène ALEXANDRE.

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