PETITES EXPOSITIONS
L’OEUVRE DE NORBERT GOENEUTTE A L’ECOLE DES BEAUX ARTS
Norbert Goeneutte, dont l’exposition posthume vient de s’ouvrir à l’Ecole des Beaux-Arts, bien qu’il soit mort à quarante ans, laisse un œuvre considérable qui, en même temps qu’une rare puissance de travail et une attachante sincérité, atteste un esprit un peu indécis qui subit trop longtemps, aux dépens de sa propre personnalité, l’ascendant d’autres artistes. De là, beaucoup de disparates. J’ai entendu dire que les organisateurs de l’exposition auraient pu, parmi les tableaux et les dessins de l’artiste, faire une sélection plus rigoureuse. Je ne sais, pour ma part, s’il faut le regretter. Tels qu’ils sont, et avec leurs mérites inégaux, ces trois cent Cinquante tableaux, pastels, dessin et eaux fortes nous montrent, les différentes étapes d’une vie d’obstiné labeur et le travail d’épurement qui, peu à peu, se faisait dans l’esprit de l’artiste. En comparant à ses premiers essais certaines pages des dernières années, il est facile de voir qu’il touchait au but de ses efforts et qu’il allait dégager la véritable et définitive formule de son talent.
Il y aurait deux parts très distinctes à faire dans la trop courte carrière du peintre. Dans la première, manifestement influencé par Jean Béraud, dont il était, paraît-il, l’ami, il consacre son pinceau à de petites scènes de genre qui ont pour décor les rues ou la banlieue de Paris et y montre, avec des qualités de peintre incontestables, un certain humour légèrement caricatural qui, pour tout dire, n’est pas ce qui nous plaît le mieux dans son œuvre. Plus tard, peut-être. Quand des années auront passé, trouverons-nous au Commissionnaire, au Dernier Salut, au Boulevard de Clichy, au Café-Concert et à la Soupe des pauvres un intérêt documentaire qui sauvera ces toiles de l’oubli. Pour le moment, nous ne pouvons y voir que des tableaux de genre assez adroitement traités, mais dont, malgré leur date récente, la couleur est déjà rance et l’aspect démodé. L’artiste, au reste, semble avoir senti lui-même le besoin d’élargir sa manière, et les dernières années de sa vie sont consacrées à des tentatives d’intérêt divers et de valeur inégale, mais qui toutes montrent un sérieux et patient effort vers un art plus élevé. Dans cette période encore, il imite, peut-être inconsciemment, divers artistes contemporains. Tantôt c’est Manet qui le hante, et tantôt Raffaëlli ; dans tels de ses paysages, c’est à Jongkind qu’il semble avoir emprunté sa facture un peu tremblotante et sa savoureuse cuisine ; mais quand il sait rester lui-même. Il arrive parfois à force de sincérité et de naïveté vraie à une rare intensité d’expression. La Femme aux chardons bleus est, dans ce genre et parmi les œuvres peintes, sa meilleure page et je m’associe pleinement à l’éloge que, dans sa préface au catalogue, M. Autonin Proust décerne à cette œuvre sobre, discrète, superbe.
Goeneutte jouissait, comme graveur, d’une légitime notoriété. L’exposition du quai Malaquais réunit la plupart de ses eaux fortes et de ses pointes sèches. Quelques-unes, comme la Bergerie, le Boulevard de Clichy par un temps de neige, le Pont de Dordrecht, le Marché de Pontoise et différentes études de femmes, sont d’un art coloré et pittoresque. Ce n’est pas là, toutefois, qu’il faut chercher le meilleur de l’artiste, mais dans les trop rares dessins qu’il a laissés. Il parait que, dans ses dernières années, Goeneutte songeait à renoncer à a estimant que le crayon seul reste, au milieu des mille variations du goût, « l’éternel traducteur des éternelles beautés ». C’est, en effet, dans ce genre qu’il a su le mieux montrer sa personnalité, soit qu’il esquisse largement au fusain le portrait de son frère, soit que, comme dans l’étude au crayon noir intitulée : Apparition, il cherche par la seule observation des valeurs l’intensité de l’effet coloré, soit encore qu’il dessine d’un trait plus délié, à la plume ou à la sanguine, les portraits de l’Académicien X…, ou de Mlle H… Toute ces œuvres ont une réelle saveur ; quelques-unes, je ne craindrai pas de le dire, sont de tout premier ordre, comme la Femme aux iris noirs et surtout, certaine étude (n° 204 du catalogue) où, d’un pinceau mince et précis comme un burin, il a dessiné à la sépia un portrait de femme que relèvent seulement, aux joues et à la lèvre, quelques touches de carmin. Ce petit dessin, qui peut être passera inaperçu, est, je le répète, une chose exquise, et quand, pour trouver un point de comparaison, je fais appel à ma mémoire, je n’y rencontre que deux maîtres du dessin français : Daniel Dumonstier dans le XVIIe siècle, et Gaillard dans celui-ci.
OCTAVE FIDIÈRE
Source :
LA CHRONIQUE DES ARTS., ET DE LA CURIOSITÉ
SUPPLÉMENT A LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS
PARAISSANT LE SAMEDI - MATIN
N°17 — 1895. PUREAUX : 8, RUE FAVART 27 Avril.